Frais de port offerts dès 44,99€

Introduction à Gankutsuou : Le Comte de Monte-Cristo

Gankutsuou - Le comte de monte cristo - adaptation d'Alexandre DumasLe terme d’ « adaptation » est devenu récurrent ces dernières années, un concept cachant le manque d’imagination des studios qui nous vendent des histoires déjà connues. Néanmoins, parler d’ « adaptation» ou encore de « reboot », est tout aussi pertinent pour les transpositions de grands récits classiques dans un contexte de science-fiction. Citons comme cas d’école le film Planète Interdite (1956) qui s'est largement inspiré des thèmes d’une des dernières pièces de théâtre de l’illustre Shakespeare : La Tempête. Dans les années 1980, le dessin animé préféré de la jeunesse de l’époque, Ulysses 31, réinterprétait l'Odyssée en une aventure spatiale. En 2002, c’est avec le flop commercial du film Disney : La Planète au Trésor, un nouvel univers, une adaptation au budget colossal de L’île au Trésor, qui précipita le déclin de l’animation traditionnelle hollywoodienne.

Pourtant, deux ans après La Planète au Trésor, des animateurs japonais ont entrepris une réinterprétation d’un classique de la littérature avec Gankutsuou : Le Comte de Monte Cristo. Il s’agit là d’un remaniement d’un classique de la littérature française en une version Science-fiction. Par ailleurs, ce roman écrit par Alexandre Dumas, aussi célèbre que Les Trois Mousquetaires, faisait déjà l’objet de nombreux débats quant à l’attribution du mérite de la composition entre l’auteur et son proche collaborateur, moins connu, Auguste Maquet. La version animée a été conçue et réalisée par Mahiro Maeda, et produit par le Studio Gonzo, familier du genre rétro-SF. Après tout, le Studio Gonzo avait déjà produit l’année précédente l’animé Last Exile, tandis que Gankutsuou fut diffusé la même année que Samurai 7, une libre adaptation du film d’Akira Kurosawa : Les Sept Samouraïs mêlant samuraïs, cyborgs et vaisseaux spatiaux.

Albert de Mortcerf - Le Comte de Monte Cristo d'Alexandre Dumas

Cependant, bien que l’enrobage Science-Fiction confère un réel plaisir au visionnage de Gankutsuou, le récit ne repose pas du tout sur ces nouveaux fondements – tout comme le style graphique tout à fait incroyable sur lequel nous nous attarderons plus tard. Même s’il n’y a pas d’apport substantiel de ce nouvel univers futuriste et imaginaire à la narration, le récit se révèle être excellent, livrant une réinterprétation à la fois audacieuse et outrancière à sa source. La version de Maeda est une aventure et un mystère s’articulant autour de l’arrivée du Comte, un homme au charme à la fois puissant et envoûtant, dans la haute société parisienne. Ce dernier va exercer une forte influence auprès d’ Albert, un jeune garçon de quinze ans, naïf et innocent. Le Comte montre à Albert et ses amis des merveilles stupéfiantes, tel qu’un vaste monde sous-terrain où la terre est composée d’or et la mer se trouve sous une horloge du cosmos. Il sème également le doute auprès de ces jeunes gens quant à leur vie de privilégiés, leurs attitudes bourgeoises et le statut de leurs familles. Leurs parents semblent également très troublés par ce nouveau venu, et les souvenirs qu’il fait resurgir…

Gankutsuou constitue l’une des meilleures histoires jamais proposées par un anime : provocateur, érudit, taquin, lyrique et farouche. Loin des standards habituels des séries d’animation, ce titre mêle des thèmes freudiens, de l’amitié masculine, des passions de jeunesse et des déchirures mortifères et glaçantes. Il y a également du contenu plus adulte. Dans le premier épisode, Albert fait une rencontre séduisante sur la lune, sous les feux d’artifice d’une ville en fête… puis la rencontre devient vraiment inattendue.

Peppo - Gankutsuou - Monte Cristo anime

« Je pensais que, du fait de la notoriété de l’œuvre originale et de l’intérêt qui lui est encore portée, mon œuvre serait diffusée à une heure grand public. Mais il y avait également des avantages à ce qu’elle soit diffusée plus tard. Il y a des scènes qui convenaient à un créneau horaire plus tardif tel que les scènes de sexe. Ou encore des thèmes qui n’auraient pas été adaptés aux enfants, comme l’amour homosexuel, la drogue… Nous aurions pu aller encore plus loin avec ce genre de sujets. » affirme Maeda.

Plus tard dans le récit, le Comte captive l’attention des Parisiennes ; sans même avoir à fournir d’efforts, elles se trouvent toutes chamboulées. Il n’est pas sans rappeler un autre Comte du XIXème siècle, dont l’anime va jusqu’à encourager le rapprochement par la colorisation bleutée de son visage, des formes acérées de se dents et ses oreilles : Nosferatu.

Quiconque connaît l’œuvre originale d’Alexandre Dumas pourrait protester contre le traitement de l’histoire qui est ici contée à l’envers. Dans le roman, les origines du Comte ne sont pas un mystère, elles sont mêmes énoncées dès le début du livre, tandis qu’Albert, personnage très secondaire, apparaît bien plus tard. De facto, il s’agit là d’une prise de liberté bien mineure par rapports à tous les traitements de l’histoire fait dans cet animé – ne vous attendez donc pas à suivre fidèlement les traces de Dumas !
Une large majorité des scènes principales, des personnages et retournements de l’histoire sont présents dans Gankutsuou, mais il y a également des changements massifs qui viennent perturber le ton et le sens de l’œuvre originale. Par exemple, les deux versions incluent un duel. Mais ce dernier qui est totalement différent d'une œuvre à l'autre et même dévastateur dans l’anime (sans parler de l’aspect mécha).

L’animé peut être considéré plus comme un débat autour de la morale vengeresse de l’œuvre originale que d’une adaptation. Maeda décrit la série comme étant un récit dénué de toute influence chrétienne (mais pas amorale pour autant), où des personnages imparfaits doivent trouver leur voie, oscillant entre le bien et le mal, sans s’épancher sur le jugement de Dieu. « Quand la série est sortie, des gens en France m’ont demandé « Pourquoi avez-vous retiré la Chrétienneté ? C’est l’une des choses les plus importantes du livre. » se remémore Maeda. « J’ai lu l’œuvre d’Alexandre Dumas, ce qui en soit a été extrêmement utile et très très intéressant. Mon point de vue était celui d’un non-chrétien, comme la plupart des lecteurs japonais, je n’avais donc pas ce bagage culturel. Je voulais donc trouver quelque chose de plus universel. Et ce qui était important à l’époque, lorsqu’il était publié en feuilleton dans les journaux, c’était la politique, les mœurs, l’étiquette, les changements dans la société en Europe et dans le monde. Et cela m’a beaucoup plu, car ce n’est pas si éloigné de notre monde contemporain, si bien que j’ai retiré de mes personnages cette dimension alors si importante qu’était la chrétienneté et l’impact qu’elle avait sur leurs actions et leurs sentiments. Je pensais qu’il y avait une autre façon de l’aborder. »

La chrétienneté dans Gankutsuou Le Comte de Monte CristoIl est également intéressant de comparer le traitement de l’adaptation de Gankutsuou par rapport à une autre œuvre majeure du XIXème siècle : L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde . Dans le roman de Stevenson, la relation entre Jekyll et Hyde est un mystère jusqu’aux dernières pages, mais dans presque toutes les adaptations, la connexion entre ces deux personnages est dévoilée dès le début. Gankutsuou fait exactement le contraire, en commençant par un mystère et réadaptant le début du récit – sans doute la plus célèbre partie de l’histoire – en flashbacks dans les derniers épisodes, où ils sont tissés à travers un climax explosif qui n’existe pas du tout dans le roman.
Bien sûr, la plupart des gens savent quel est le lien entre Jekyll et Hyde, même s’ils ne connaissent peut être rien d’autre de l’histoire. Monte Cristo, bien que connu de nom par des millions de personnes, ne souffre pas de cet a priori que l’on peut qualifier de spoiler. Qui plus est, que vous ayez lu le livre ou non, vous pouvez vous plonger dans la version animée et en profiter pleinement sans en pâtir. L’histoire fut traduite en japonais pour la première fois en 1901, et c’est à ce moment là que l’œuvre fût alors étrangement rebaptisée Gan Kutsu Ou – « Le Roi de la Caverne ». Il semble probable que la première adaptation cinématographique, un court métrage américain datant de 1908, ait fait son chemin jusqu’au Japon peu de temps après la traduction de l’œuvre de Dumas.
En 1977, le roman fut adapté en série TV made in Hong-Kong et située dans la Chine de l’époque, intitulé The Great Vendetta. Dans cette histoire, un héros accusé à tort apprend plusieurs langues en prison, puis s’échappe pour retourner à la recherche du trésor perdu de la rébellion de Taiping. Deux ans plus tard, l’histoire est de nouveau transposée au XVIIème siècle, cette fois à la télévision japonaise. Le Comte est devenu un samurai luttant contre la Rébellion de Shimabara sur l’île de Kyushu. Dans ces deux cas d’adaptation TV, on retrouve des éléments de la culture chrétienne introduites dans l’histoire locale, chose qu’en revanche Maeda a bien fait attention à ne pas intégrer.

En Science-fiction, Le Comte de Monte Cristo est souvent cité en tant qu’influence directe à l’œuvre Terminus, les étoiles de l’américain Alfred Bester. « En fait, je voulais faire un animé à partir du roman de science-fiction d’Alfred Bester » admet Maeda. « Donc j’ai voulu entamer des négociations avec les ayant-droits, mais ils m’ont dit qu’ils ne voulaient pas voir l’œuvre adaptée en dessin animé. J’étais alors un peu déçu, mais j’ai ensuite réalisé que Bester avait livré une version science-fiction de Le Comte de Monte Cristo. Je me suis alors dit que je ferai la même chose. » L’animé de Maeda propose une nouvelle approche dans un univers space-retro où la société et les personnages sont pourtant enracinés dans les codes sociaux et l’étiquette très proches du XIXème siècle, mais où aller sur la lune est aussi facile que traverser la manche. En tant que tel, Gankutsuou est comparable à un merveilleux roman britannique intitulé Les chemins de l’espace par Colin Greenland, qui combine la prose de Dickens et des vaisseaux spatiaux à voile.

gankutsuou le comte de monte cristoLe look de Gankutsuou est, il faut bien le dire, très particulier. Mahiro Maeda et le Studio Gonzo avaient déjà collaboré par le passé sur la production d’animation combinant techniques traditionnelles et 3D, notamment sur Blue Submarine No 6 (sorti entre 1998 et 2000). Mais Gankutsuou est allé encore un peu plus loin, en utilisant une approche très particulière. Tout au long de la série, des parties d’objets et de personnages (par exemple : les cheveux ou la veste d’une personne) sont traités comme des motifs numériques qui semblent flotter de manière autonome même lorsque le personnage bouge. Cet effet apparaît souvent à tort dans l’animation, qu’elle soit analogique ou numérique, mais Gankutsuou l’utilise au point que cela vient souligner l’aspect psychédélique de la série.

« J’ai toujours eu cette idée qu’avec l’animation digitale il n’y aurait plus de raison de rester bloqué avec des aplats de couleurs statiques, et qu’il y aurait différents types de textures » affirme Maeda. « Ce projet étant situé dans de grandes maisons d’aristocrates, j’avais peur que des dessins au crayon ne fonctionneraient pas, que cela ne serait pas efficace, alors je suis arrivé avec cette idée d’utiliser des textures de tissu, comme la fourrure, des paillettes ou des étincelles, et d’en ignorer la propension, afin de créer une sorte de collage. »

« A une époque où le dessin fait-main [dans d’autres animé] était encore très actif. Les chara-designs comportaient beaucoup de détails très fins, et je n’étais pas vraiment fan de ce style. Je préférai des allures plus simples et nettes, comme vous pouvez le retrouver dans le théâtre traditionnel japonais, le Nô, où les silhouettes sont plus ‘carrées’ et couvertes de nombreuses couches de textiles aux motifs différents. Ceci, combiné aux petits masques que les comédiens arborent, confèrent un ensemble abstrait, et c’est cela que je cherchais à reproduire. »

Plutôt que des entités propres et distinctes, les personnages apparaissent comme des vecteurs de couleurs différentes qui pourraient se répandre l’un dans l’autre, ou encore comme des pièces de collection uniques servant à la mise en scène du drame, comme au théâtre. Cette approche inédite rencontre évidemment des détracteurs, mais pour ceux qui sont prêt à sauter le pas, elle se révèlera merveilleusement immersif.

Voilà ce que devrait être une adaptation.

Article par Andrew Osmond.
Traduit et adapté par l’équipe @Anime France.
Andrew Osmond est l’auteur de l’ouvrage 100 Animated Feature Films (en langue anglaise uniquement).
Gankutsuou est disponible en France en édition intégrale Collector Blu-Ray.

0 comments

Les commentaires doivent être validés avant d'apparaître. Merci de patienter.

Inscrivez vous à notre Newsletter

Recevez les dernières actualités, offres et promotions de notre label.

© 2020 Anime Ltd. Tous droits réservés.