Introduction à Fusé : Memoirs of the hunter girl
Au premier regard, vous pouvez apprécier Fusé : Memoirs of the Hunter Girl comme un récit réjouissant où une jeune fille pleine d’entrain descend au Tokyo de l’époque des samurais et se retrouve impliquée dans une aventure avec des loup-garous.
L’héroïne, une jeune chasseuse du nom d’Hamaji, est une adolescente qui a grandi dans les montagnes auprès de son grand-père, malheureusement récemment décédé. Elle a été éduquée dans le respect de la faune qu’elle chasse et tue pour se nourrir, ainsi qu’à honorer le lien qui les lie. Invitée par son frère à Edo (l’ancien nom de Tokyo), Hamaji constate que la ville est en proie à des « Fusé », une sorte d’hybrides homme-chiens qui se fondent dans la masse des habitants de la ville. (Le terme de « Fusé » combine les caractères japonais (kanji) d’homme et de chien.) Les créatures sont traquées une par une ; d’un total de 8 fusés, il n’en reste plus que 2. Suivant sa destinée, Hamaji rencontre assez rapidement un bel homme au teint pâle, que nous, spectateurs, savons être l’un des deux derniers fusés…
Le film est réalisé par Masayuki Miyaji, un ancien disciple d’Hayao Miyazaki. Miyaji fut recruté par le grand Miyazaki durant une master class réunissant des jeunes talents dans le but de détecter les prochains réalisateurs à succès. Ce cours fut aussi impitoyable que la chasse aux loup-garous : Miyaji était entre autre chargé de réveiller Miyazaki de ses siestes de l’après-midi. Miyaji fut l’un des rares survivants a avoir été sélectionné, et devint ainsi l’assistant du réalisateur sur l’un des plus grands films d’anime de tous les temps : Chihiro.
Et pourtant, Fusé est bien une création propre à Miyaji, faisant fi de son passé auprès de Miyazaki et du Studio Ghibli. Ce film est animé par le vénérable TMS Entertainment (anciennement Tokyo Movie Shinsha), un studio ayant travaillé sur un grand nombre de productions internationales et pouvant s’adapter à n’importe quel style. La date de lancement de Fusé fut choisi pour coïncider avec le 90ème anniversaire d’un magazine littéraire (Bungei Shunju), mais le film est loin d’être aussi indigeste que le laisse supposer cette publication défendant des valeurs très à droite et proche de l’Empereur. Au contraire, Fusé se révèle être bien plus potache et caricatural que conventionnel. Hamaji est un garçon manqué, avec de bons gros cuissots, et est régulièrement pris pour un garçon (mais elle vivra un moment digne du film My Fair Lady durant lequel elle est forcée à revêtir un kimono féminin).
Cet animé n’est pas sans rappeler L’île de Giovanni de part son esprit effrontément non-conformiste. Fusé n’est pas un dessin animé conventionnel de part son humour paillard et une violence insouciante (le début du film est étonnamment sanglant) qui n’est pas sans rappeler certaines bande-dessinées et films d’animations français (note de traduction: l’article original est écrit par un anglais ?). Un plan notamment prend le point de vue d’une tête fraichement découpée qui sombre dans un fossé infect ; qui dit mieux, hein Monsieur Sylvain Chomet ?!
Comme mentionné précédemment, le film comporte certains points communs avec Miss Hokusai de Keiichi Hara tels que les décors de l’époque ou les thèmes artistiques. Les deux films comportent des plans du pont en bois Ryogoku lequel a été peint par Hokusai et où l’un des premiers combats du film Fusé prend place. Egalement présent, le quartier des plaisirs de Yoshiwara. Cette partie du film pourrait rappeler à certains d’entre vous l’un des plus grands classiques du cinéma de Science-fiction : Blade Runner, où un chasseur tombe sur une femme à l’allure exotique qui est bien plus qu’elle ne laisse penser…
S’agissant de Fusé, nous ne pouvons ne pas évoquer l’oeuvre littéraire dont le film est issu : Hakkenden, ou La Chronique des Huit Chiens. En réalité, il ne s’agit pas d’un simple récit mais d’une saga sérialisée pendant des décennies durant le XIXème siècle (1814 à 1842), écrit par Kyokutei Bakin, un samurai qui souhaitait diffuser des valeurs confucéenne auprès de son lectorat. Une partie de ce long récit est d’ailleurs reprise dans le film durant une scène de Kabuki où il est question d’une union interdite entre une princesse et son chien (oui oui, vous avez bien lu). Cet aspect de l’histoire – peut être inspiré par un conte chinois – a également inspiré d’autres artistes tels que Richard Corben et son oeuvre Rolf qui a par la suite inspiré Miyazaki pour son film Nausicaa. On pourrait également citer Mamoru Hosoda et son oeuvre Les Enfants Loups dans lequel une femme procrée avec un loup-garou sous sa forme canine.
L’histoire originale d’Hakkenden est centrée sur huit guerriers descendants de la princesse et du chien. Ces descendants peuvent être identifiées par des tâches de naissance en forme de fleurs de pivoine à huit pétales. Les aventures de ces héros ont été contées à de multiples reprises, ce qui est d’ailleurs repris dans Fusé sous forme de multiples et très différentes rumeurs se propageant dans la ville d’Edo.
Au Japon, chaque public connaît la légende d’Hakkenden selon sa tranche d’âge : une célèbre série TV de marionnettes diffusées au début des années 70, un film live-action par Kinji Fukusaku (réalisateur de Battle Royale) en 1983, une série d’animation en 1990, et bien d’autres programmes reprenant le conte d’origine sous différents aspects. A cet égard, le conte d’Hakkenden est comparable au récit chinois La pérégrination vers l’Ouest ou Le Singe pèlerin par Wu Cheng’en, qui a par la suite fait l’objet de toute sorte d’adaptations TV comme un certain Dragon Ball pour ne citer que lui…
Fusé est donc adapté directement d’une des nombreuses adaptations de la légende d’Hakkenden, écrit par Kazuki Sakuraba, qui est également à l’origine du lightnovel Gosick produit en animation par le studio BONES. Le scénario du film est d’Ikirou Okouchi qui fut impliqué dans les films Berserk et l’un des collaborateurs de Code Geass. Alors que le récit de l’oeuvre originale d’Hakkenden était situé il y a des siècles, ici dans Fusé, l’histoire se déroule dans l’époque Sengoku, soit à la même période où le récit original fut composé. Kyokutei Bakin, l’auteur, apparaît dans Fusé en tant que personnage secondaire. C’est sa petite-fille qui remporte le plus d’attention, Meido Bakin, présentée comme une geekette à lunettes, pouffant de rire au fur et à mesure qu’elle écrit…sa propre version non-autorisée d’Hakkenden.
En d’autres termes, Fusé est un film qui renverse sa structure narrative pour placer deux écrivains – Kyokutei et sa petite-fille Meido - dans une situation où le scénario est écrit au moment même qu’ils le vivent ! Ce jeu littéraire est très subtil mais nécessite plusieurs visionnages du film pour être complètement apprécié. Le film apporte également une nouvelle lecture de la légende d’Hakkenden du point de vue de personnages qui savent déjà ce que va leur apporter le prochain siècle et demi. Rappelez-vous qu’Hakkenden a été écrit plusieurs années avant l’ouverture forcée du Japon, à des « monstres » étrangers aussi effrayants que des loups-garous, et qui changera le pays à jamais.
Article par Andrew Osmond.
Traduit et adapté par l’équipe @Anime France.
Andrew Osmond est l’auteur de l’ouvrage 100 Animated Feature Films (en langue anglaise uniquement).
Fusé est disponible prochainement en France en Edition Collector Combo Blu-Ray & DVD et en Edition DVD.