Interview de Michael Arias, réalisateur d'harmony
Michael Arias, vous avez beaucoup travaillé avec redjuice sur l'univers et les personnages du film. Comment se déroulaient vos échanges? Quel fut son degré d'implication dans la construction de l'univers du film ?
Nous avons travaillé de manière très rapprochée pour définir le chara-design de Tuan, le personnage principal. redjuice venait au studio, je dirai 4 à 5 fois par semaine pendant un mois, juste pour travailler sur Tuan – surtout pour définir le style de son costume. Parce que l’histoire se déroule dans le futur, et que la technologie tient une place importante dans l’œuvre originale, nous essayions d’imaginer, par exemple, des vêtements qui sortiraient d’une imprimante 3D tous les matins, et qui, le soir s’écouleraient avec l’eau de la douche pour être recyclés dans la tenue du lendemain.
Nous passions donc beaucoup de temps à penser, à échanger et conceptualiser autour de sujets comme la mode du futur, et à revenir sur nos précédentes idées pour les améliorer. Lorsque le personnage de Tuan a été défini, nos rencontres se sont espacées. Nous échangions surtout par email. Il m’arrivait souvent de le croiser car nous étions voisins à époque. Mais nous ne parlions pas du film dans ces moments-là.
C’est à l’étape de la définition du chara-design du personnage principal que nous avons passé le plus de temps ensemble, à synchroniser nos idées et à orienter le travail dans la bonne direction. Une fois qu’il fut lancé, je l’ai laissé faire, quand il s’agit plus particulièrement de design, je pense qu’il ne faut pas chercher à micro-manager les personnes. Nous aussi avons eu notre part de liberté lorsque nous avons reçu son travail, et que nous avons du transposer le matériel livré, afin de pouvoir plus facilement passer à l’animation des personnages.
Red faisait partie du projet avant même que je sois contacté car il connaissait les producteurs du film . De ce fait, son implication était plus ou moins synchronisée avec mon travail car je n’avais pas encore réfléchi au chara-design avant d’avoir commencé à travailler avec lui. En fait, je m’étais en quelques sortes empêché d’y penser parce que redjuice a un style tellement distinctif que j’avais le sentiment qu’il avait une idée bien précise de ce qu’il voulait réaliser. Il n’y avait donc pas d’intérêt pour moi de me lancer dans un travail de recherches sur les personnages si par la suite cela rentrait en contradiction avec le style et les idées de redjuice. En ce sens, on peut donc dire que ce sont ses personnages.
Par contre, j ‘étais obsédé par les petits détails des costumes parce que j’ai besoin que cela fasse sens, plus que par les visages et les coupes de cheveux. Une grande partie de ce travail fut finalisée avant l’arrivée de Nakamura-san dans le projet. Je travaillais avec red depuis un bon moment.
Les designs de nombreux décors paraissent assez organiques, comment avez-vous abordé cette direction artistique ? (Question par Tsuka)
Je pense que vous parlez de Tokyo, car c’est la première ville que l’on voit dans le film. Ce look organique fait suite aux discussions que nous avions eu au tout début du projet, entre moi et le directeur artistique. Nous nous sommes demandés à quoi ressembleraient des immeubles si l’on devait bâtir une ville de zéro.
Puisque l’idée principale du film était que la civilisation s’est reconstruite après une guerre cataclysmique, alors nous avons beaucoup théorisé pour savoir comment il faudrait s’y prendre pour reconstruire une ville de zéro, sur une terre rase. Nous avons alors trouvé des indices dans le roman original où la technologie est décrite comme quasiment biologique, entre animale, et robotique. Nous avons alors voulu procurer aux immeubles et structures de la ville un look qui ferait croire qu’ils pousseraient comme des plantes. Voilà l’idée générale du design.
Comment était réparti le travail entre vous et le co-réalisateur Takashi Nakamura ? (Question par Tsuka)
J’ai travaillé sur le design pendant plusieurs mois, ainsi que sur le script avec un auteur qui n’est pas resté dans le projet avant que Nakamura-san n’arrive. Au moment où il est arrivé, nous n’avions plus beaucoup de temps pour réaliser le film car nous nous étions aventuré très loin avec l’ancien scénariste avant de changer d’orientation. Nakamura-san a bien plus d’expérience que moi. Donc lorsqu’il est arrivé dans le projet, il a incorporé ce travail à sa propre vision de <harmony/>.
Aussi, il n’était pas présent à temps complet au studio. Il venait un jour par semaine avec des designs ou storyboards, tandis que je travaillais au studio pour faciliter son travail et combler les trous, surtout sur les aspects des effects spéciaux, graphic design, et également le design du monde virtuel qui n’était pas mis entièrement à plat. Nous avons passé des semaines très intense tous les deux au tout début avant de passer à la production du film. Une chose que je rajouterai est que ce film ne s’est pas fait construit à partir d’une stratégie globale, mais plutôt dans tous les sens du moment que cela marche, car nous n’avions que très peu de temps.
La 3D est très souvent utilisée dans le film, pas seulement pour des scènes difficiles à animer en 2D. Quelle était votre approche, et comment s'est passé le travail du storyboard ? (Question par Tsuka)
La raison pour laquelle nous avons beaucoup utilisé la 3D, est, comme dans la plupart des cas, pour des raisons budgétaire. Et ce, surtout pour les nombreux plans de caméra qui sont, comme vous le savez peut être déjà, très difficiles à réaliser en animation traditionnelle. Aussi, parce que notre calendrier était serré. Cela étant dit, nous avions à notre disposition un département 3D très compétent, ce qui rend tout à fait logique de leur confier ces scènes.
Encore une fois, il s’agit avant tout d’un choix pragmatique. Nous n’étions pas à nous demander « on veut faire de la 3D » ou encore « que pourrait on bien faire en 3D ? ». Non, c’était plus : « il nous reste tant de temps, comment va t on faire ? » Le seul moyen d’y arriver avec le temps imparti était de confier le travail au département 3D.
Vous réalisez également des films en prise de vue réelle. Si vous deviez réaliser <harmony/> en live-action, quelle aurait été votre approche ?
Pour tout vous dire, j’avais entrepris de réaliser <harmony/> en prise de vue réelle environ deux ans avant que les producteurs de <harmony/> version animation m’aient contacté. J’avais alors beaucoup réfléchi à la réalisation du film avec un budget très limité, en indépendant, et je voulais faire quelque chose de très minimaliste, presque une pièce de théâtre, avec beaucoup de tableaux contemplatifs et peu d’action. C’est un peu cliché que dire « dans le style Gattaca », mais ce film est un bon modèle pour créer un film de science-fiction, un univers futuriste sans dépenser beaucoup d’argent. C’est une référence de poids.
Une grande partie du film <harmony/> se déroule dans le désert, et à Bagdad. La ville qui est dépeinte dans le roman ressemble beaucoup au Bagdad d’aujourd’hui, alors j’ai réfléchi à plusieurs options différentes. Par exemple, filmer des séquences au Moyen-Orient directement, etc. A ce jour, je pense toujours que <harmony/> ferait un bon film live-action. Pour moi, le réaliser en animation n’était pas vraiment mon premier choix pour être honnête, j’ai donc du prendre sur moi pour prendre le recul nécessaire afin de le repenser en film d’animation.
Mais heureusement, une grande partie du film <harmony/> est constituée de monologue du personnage principal, on peut donc y apposer les images que l’on veut. Cet aspect de l’œuvre rendait possible de réaliser un film en prise de vues réelles à très petit budget que j’aurai pu réaliser ici au Japon, où j’aurai pu filmer beaucoup d’endroits vraiment cool, pour ensuite créer un Tokyo futuriste de la même manière que dans Gattaca avec des aplats de couleurs laissant suggérer un espace au-delà bien plus vaste que l’on voit à l’écran.
Quels acteurs auriez vous sélectionné pour Tuan et Mihie ?
Je n’en étais pas arrivé la. En revanche, j’avais imaginé que tous les personnages que l’on trouve dans le roman avaient environ 15 ans, et qu’il aurait été intéressant de finir le film avec les mêmes personnes mais à leur âge adulte réel. Une autre chose que je trouvais cool, et qui aurait trouvé tout son sens dans <harmony/>, était de ne pas faire vieillir les personnages. De cette idée, j’aurai donc pris une actrice très jeune et aurait conservé son air juvénile tout au long du film. Parce qu’il y a une femme de 72 ans qui à l’air d’avoir 30 ans dans le roman. Je trouvais que ce serait une façon très intéressante de présenter ce côté « santé et bien-être avant tout » de ces sociétés futuristes, et montrer des personnages dont il est impossible de devenir l’âge. Je ne suis pas allé plus loin dans ma réflexion autour des acteurs.
A partir d'une idée ou d'un scénario, qu'est-ce qui vous ferait pencher plus pour une réalisation animée ou live-action ? Pourquoi ?
Pour Tekon, j’ai toujours envisagé cette œuvre en animation. Le comics ayant posé les bases de l’univers graphique, cela faisait sens, mais présentait aussi un côté pragmatique.
Concernant <harmony/>, comme je l’ai dit auparavant, je l’envisageais d’abord comme un film live, et j’ai finalement abandonné l’idée de le réaliser parce que je n’avais pas réussi à constituer le projet. Puis, l’heure est arrivée où on me l’a proposé en tant que projet de film d’animation, et j’avais besoin de travailler (rires).
Je ne voie pas les choses tel que « ceci en prises de vues réelles, cela en animé », mais plutôt qu’est-ce qui sera le plus pratique à réaliser avec un budget défini. Et je ne voie pas la réalisation de film d’animation et de live-action de manière différente. Evidemment, il y a plein de choses que l’on peut faire différemment, mais c’est aussi vrai entre 2 films live: celui avec un petit budget et un autre où l’on peut construire des décors par exemple. Cela change tout.
Il y a vingt ans vous travailliez déjà sur le pilote de Tekkon Kinkreet. Quelles sont pour vous les différences entre le Japon et les USA au niveau de l'utilisation de la 3D dans les oeuvres d'animation ? (Question par Tsuka)
Je pense que le Japon est vraiment à la traîne en terme de développement d’animation par ordinateur. Contrairement à Hollywood dont la production est très organisée, au Japon les budgets sont plus restreints, les équipes aussi, et les membres sont plutôt généralistes que très spécialisés. Je pense que le Japon a une sérieuse longueur de retard dans l’animation 3D.
Il y a cependant des niches où les japonais ont excellé, notamment à l’animation celluloïd assistée par ordinateur par exemple. Ce succès ne se base pas tant sur une nouvelle technologie ou technique mais plutôt pour répondre à l’attente du public japonais.
Mais c’est vraiment dommage car il y a vraiment de très très talentueux artistes qui travaillent dans l’animation 3D au Japon mais qui n’ont pas d’opportunités pour exprimer tout leur talent. Pour moi, c’est naturel de recourir à la 3D car c’est une technologie qui m’est familière et que j’apprécie travailler avec des animateurs digitaux. Donc, dans tout ce que je fais, je suis toujours ouvert à l’idée d’incorporer le digital à la production.
D’ailleurs, de nos jours, vous ne pouvez plus faire de films live-action sans recourir aux effets spéciaux par ordinateur : pour étendre le décor d’une scène, enlever des éléments d’une prise de vue, etc. Dans l’animation traditionnelle aussi on recourt maintenant systématiquement à l’utilisation d’outils digitaux pour arriver à créer certains effets où des choses qui sont trop complexes à composer de manière analogique, à la main.
Etait-il difficile pour vous d'aborder une histoire aussi japonaise où la révolte est quasi inexistante, et où le suicide semble être la seule solution contre la société ? (Question par Tsuka)
C’est une remarque intéressante car, moi-même travaillant au Japon, je n’avais pas fait le lien, mais maintenant que vous le dites ça me paraît en effet évident! Je pense qu’une grande partie de l’œuvre est une critique assez directe et orientée contre la société japonaise. Mais, personnellement, je perçois cette œuvre comme étant une critique, voire même une satire, envers les sociétés de surveillance dans lesquelles nous vivons tous maintenant.
Itoh était quelqu’un de très cultivé, s’intéressant surtout à notre époque. C’est du moins ce que je pense en me basant sur ses références et les sujets qu’il aborde dans ses écrits. Son approche littéraire est selon moi très agnostique, ce qui selon moi, contribue fortement au succès qu’il a rencontré auprès du public occidental.
Michael, une question un peu plus personnelle, vous êtes connu et reconnu pour vivre et travailler au Japon, parlant la langue couramment. Comme beaucoup de nos fans nous adorons ce pays et sa culture. Pourriez-vous nous dire ce qui vous plait tant et motive à rester au Japon d'un point de vue personnel et/ou professionnel ?
Tellement de choses, vraiment. Ce que j’aime dans les arts traditionnels japonais, c’est cette recherche de la beauté dans une esthétique que je trouve fascinante. J’adore aussi la cuisine. Je trouve les japonais aimables et gentils, contrairement à l’Amérique dernièrement. Mais surtout plein de petites choses qui font de ma vie quotidienne un endroit confortable pour travailler et vivre. Aussi, on ne peut plus faire d’animation traditionnelle de nos jours ailleurs qu’au Japon. Bien que je ne sois pas un animateur moi même, mais je travaille beaucoup avec l’animation, fait que je me dois d’être au Japon. Ah, et encore la cuisine japonaise, je me dois de le répéter à nouveau!
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Merci à Michael Arias pour avoir répondu à nos questions.
Remerciements également à notre équipe écossaise pour avoir fait le relai, ainsi qu'à Tsuka pour sa contribution à cette interview.